- CRISTAUX - Croissance des cristaux
- CRISTAUX - Croissance des cristauxLa cristallographie donne une description précise du cristal à l’échelle macroscopique et atomique. D’autre part, expliquer l’existence des formes polyédriques d’un cristal, élucider ses mécanismes de croissance relève de la cristallogenèse. Partant du problème de l’existence des faces planes, W. Kossel et I. Stranski ont fait, en 1928, des travaux qui sont à l’origine des connaissances actuelles. Depuis cette date, le champ de recherche ne cesse de s’élargir grâce à la théorie, à l’expérience et à ses applications. Dès 1939, la production de très gros monocristaux a été développée d’abord en relation avec la détection aérienne nocturne par rayonnement infrarouge, puis en liaison avec la détection sous-marine à l’aide de cristaux piézo-électriques. Ces développements se sont primitivement peu souciés de la qualité cristalline, mais la découverte de l’effet transistor a stimulé la fabrication de cristaux de très grande qualité. Actuellement, plus d’une centaine de tonnes de monocristaux semi-conducteurs sont préparés annuellement; leur qualité cristalline, leur pureté atteignent un degré considérable jamais obtenu précédemment, même à l’échelle du laboratoire.1. Forme d’équilibre d’un cristalCette notion est à la base des théories de la croissance cristalline; elle a une réalité expérimentale.ExpériencesSi l’on pulvérise sur un porte-objet de microscope une solution aqueuse de chlorure d’ammonium, NH4Cl, les gouttelettes s’évaporent partiellement durant leur parcours dans l’air et il se forme à l’intérieur de ces gouttelettes des cristaux de NH4Cl ayant des formes arborescentes, les dendrites (fig. 1). En isolant ces gouttes sous une matière inerte, les dendrites s’émoussent, disparaissent pour laisser finalement place à un polyèdre régulier à 12 faces planes110 (dodécaèdre rhomboïdal). Plus les gouttes sont petites, plus rapidement s’installe la forme d’équilibre110 de NH4Cl. Toute espèce cristalline peut atteindre la forme d’équilibre qui lui est propre. Elle peut être constituée de la combinaison de plusieurs formes cristallographiques.Une autre expérience plus délicate consiste à affiner l’extrémité d’un fil de tungstène de 10-3 cm de diamètre tel que la pointe atteigne un rayon de courbure de 103Å. Placée dans un vide de 10-10 torr (1,3 憐 10-8 Pa) et chauffée à 2 500 K, la pointe, initialement de forme quelconque (fig. 2 a), s’arrondit sans fondre (fig. 2 b), et cela par diffusion superficielle des atomes de W. Dans un stade ultime (fig. 2 c), apparaissent entre autres les faces (110), (100), (112).Ce système expérimental est aisément transformé en microscope par émission d’ions, de champ doué d’un grossissement de 106 et d’une résolution atomique. Au centre du champ de la figure 3, on voit, grâce à cette technique, la face sombre (110), entourée par 2 faces (100) et 4 faces (112) se répétant par la symétrie mm2. Ces faces sont séparées par des régions arrondies de la pointe où l’on distingue des atomes répartis irrégulièrement. Tout cet ensemble constitue la forme d’équilibre du tungstène. Cet instrument permet de s’assurer aussi que les faces planes le sont réellement jusqu’à l’échelle atomique, ainsi que l’on peut le constater sur la figure 4 où sont visibles les atomes des faces d’un cristal de platine. Au contraire, sur la face (110) de la figure 3 quelques points lumineux indiquent la présence de quelques rares atomes de tungstène absorbés (rugosité thermique).Formulation thermodynamiqueLa formulation thermodynamique de la forme d’équilibre a été donnée successivement par J. W. Gibbs, P. Curie, Liebmann, Volmer, Herring. Si chaque direction i d’une surface cristalline est caractérisée par une énergie spécifique de surface 靖i , la condition d’une énergie de surface minimale:pour un volume donné du cristal, détermine les aires s i dans différentes directions. Explicitée, cette condition conduit au théorème de Wulf (1901):quel que soit i , les h i étant les distances des i faces par rapport à un point situé à l’intérieur du cristal; ces distances h i sont donc proportionnelles aux énergies spécifiques de surface 靖i . Connaissant le diagramme polaire des 靖i d’un cristal, la forme d’équilibre se construit aisément (fig. 5): on mène des plans normaux aux rayons vecteurs de 靖 (trait fin), puis on détermine les enveloppes de ces plans; elles sont concentriques et la plus intérieure est la forme d’équilibre recherchée (trait gros). Réciproquement, on détermine à partir de la forme d’équilibre le « 靖-graphe» d’une manière univoque, à condition qu’on n’ait pas affaire à un polyèdre (la forme doit être dépourvue de sommets et d’arêtes, mais elle peut présenter des faces planes).Calcul de la forme d’équilibreLe calcul a priori des 靖i rend possible la prévision de la forme d’équilibre des cristaux. Selon Born et Stern, il suffit de connaître l’énergie d’interaction 﨎(r ) entre paires d’atomes distantes de r à l’intérieur du cristal. L’énergie spécifique de surface est donnée par:si n ri est le nombre de liaisons de longueur r coupées par le plan d’orientation i . On suppose ici que la surface créée n’est pas relaxée, c’est-à-dire qu’elle possède la même structure qu’un plan parallèle à l’intérieur du volume cristallin. Stranski et ses collaborateurs ont ainsi calculé, à l’aide des relations (1) et (2), de nombreuses formes d’équilibre de cristaux ioniques, moléculaires et métalliques en appliquant à chaque cas la fonction 﨎 (r ) la plus adaptée. Réciproquement, ils ont pu déterminer les meilleures fonctions 﨎 (r ) en analysant les formes d’équilibre expérimentales. On approche donc directement les forces interatomiques par l’étude des formes d’équilibre. La figure 6 montre le 靖-graphe pour le tungstène (points), tel que le donne l’expérience à partir du document de la figure 3. Ce diagramme est à comparer avec celui (courbe) déduit théoriquement en prenant pour 﨎 (r ) un potentiel de Mie ajusté à partir des constantes élastiques mesurées sur le tungstène.Notons que les énergies spécifiques de surface d’un cristal sont très sensibles aux influences d’un milieu ambiant, en particulier à l’adsorption de substances étrangères qui peuvent s’installer sur les faces d’un cristal. Un théorème dû à Gibbs prévoit alors que les 靖i sont abaissés de 靖i . De ce fait, selon (1), la forme d’équilibre est modifiée par la présence d’un milieu ambiant. De nombreuses applications industrielles sont fondées sur ce phénomène.2. Mécanismes de croissanceDifférents types de faces d’un cristalLes travaux théoriques de Kossel, Stranski et P. Hartman ont montré que les faces d’un cristal peuvent se classer en trois types appelés F, S et K. Ils sont schématisés sur la figure 7 où chaque parallélépipède représente une unité de croissance (molécule, atome ou ion). Ce schéma est à rapprocher de la figure 3, sur laquelle l’expérience confirme l’existence de ces trois types de faces.Le type F (flat ) consiste en des faces rigoureusement planes, du moins à des températures bien en dessous du point de fusion (Burton-Caberra, 1949); les faces S (stepped ) sont formées de marches régulières et les faces K (kinked ) ont une structure superficielle irrégulière. La distinction de ces trois types est issue de la considération de l’énergie d’interaction 﨎(r ) entre les particules situées dans une tranche structurale parallèle à ces faces. Cette énergie est faible dans une tranche d’une face K, forte dans la tranche d’une face F. Les faces S sont caractérisées par une direction d’énergie forte, les autres directions dans la tranche étant d’énergie faible. Ces énergies peuvent être calculées numériquement, si l’on connaît pour le cristal en question la fonction 﨎(r ), en dénombrant tous les vecteurs interatomiques n ri contenus dans les tranches de ces faces.Cette subdivision des faces d’un cristal en trois types présente un intérêt fondamental en ce qui concerne leur mécanisme de croissance. Compte tenu des remarques faites sur les énergies d’interaction des atomes dans ces faces, on prévoit qu’une face K peut recevoir et fixer en n’importe lequel de ses sites des atomes venant du milieu ambiant et ceci sans qu’il s’établisse une corrélation entre sites occupés ou vides de cette face. Ainsi, la croissance des faces K a lieu par adjonction statistique d’unités de croissance (fig. 8 b); de ce fait, ces faces ne sont pas tenues à rester planes durant leur croissance.Pour les faces S, il existe une corrélation étroite entre la fixation d’une particule et ses voisines situées sur la même «marche d’escalier». Ainsi se forment des chaînes d’atomes durant la croissance (fig. 8 a). La formation d’une de ces chaînes n’est pas liée à celle des chaînes voisines parallèles. Les faces de type S ne restent donc pas forcément planes durant la croissance, mais forment des surfaces ayant un rayon de courbure principal différent de l’infini.Sur une face F, le sort d’une unité de croissance est lié à celui de toutes les unités qui sont déjà fixées sur la face; ceci du fait des interactions fortes qui existent suivant tous les azimuts contenus dans la face. Il se forme donc des couches bidimensionnelles dont l’épaisseur minimale est égale à l’équidistance des plans réticulaires parallèles à la face. Une couche se forme dès que la couche sous-jacente est recouverte entièrement.Cinétique de croissanceÀ partir de ces données fondamentales, on peut maintenant prévoir théoriquement la cinétique de croissance d’un cristal. Il faut s’attendre à une situation complexe, car l’existence de trois types de faces dans un cristal implique déjà trois mécanismes intrinsèques. D’autres possibilités de mécanismes (extrinsèques) existent et ils peuvent se greffer sur les premiers.Raisonnons sur le sort des particules qui doivent faire croître le cristal en abordant d’abord des mécanismes intrinsèques.Le cristal est au contact d’une phase ambiante. Si celle-ci est saturée, le cristal ne peut ni croître, ni décroître. Si le milieu est sursaturé, les particules ont tendance à aller de préférence vers le cristal. La mesure thermodynamique de cette tendance est appelée dépassement ( 猪), différence du potentiel chimique du milieu hors d’équilibre et de celui qu’aurait ce milieu en étant saturé. 猪 peut exprimer les dépassements régnant en solution et en phase vapeur (sursaturation), dans le bain fondu (surfusion), lors d’une électrolyse (surtension) ou lors d’une détente adiabatique (taux d’expansion), etc.La cinétique de croissance d’une face K paraît la plus simple. Chaque site de cette face est un site de croissance équivalent du point de vue énergétique. Si 猪 = 0, le nombre des atomes qui se fixent sur les sites est égal au nombre des atomes qui les quittent; mais, si 猪 礪 0, la face gagne des atomes. On montre que la vitesse d’avancement RK de la face varie linéairement avec le dépassement:Pour les faces S, il en est approximative-ment de même.La théorie montre que, pour une face F, à 猪 = 0, des atomes sont adsorbés sur elle: la teneur de la couche d’adsorption croît linéairement avec 猪 et les atomes ont tendance à former des polymères bidimensionnels (fig. 9 a). À cause des fluctuations d’énergie libre du système, certains d’entre eux dépassent une dimension critique (germes critiques bidimensionnels) et ils peuvent s’étendre spontanément sur la face avec diminution d’énergie libre. La vitesse d’avancement est alors:Le calcul montre qu’on a RF 廉 RS,F et, de ce fait, on retrouve le résultat expérimental bien connu: la forme de croissance d’un cristal est toujours plus pauvre en faces que ne l’est sa forme d’équilibre. Seules restent, sur le cristal, les faces auxquelles correspondent les cinétiques les plus lentes, à savoir les faces F. Les faces à croissance rapide (S et K) s’éliminent elles-mêmes de l’association des formes cristallographiques. De ce fait aussi, la forme de croissance d’un cristal présente forcément, en plus des faces planes, des arêtes vives et des sommets tandis que la forme d’équilibre peut en être dépourvue, comme on l’a déjà vu.Mesure des vitesses de croissanceLes mesures des vitesses de croissance confirment la loi (3) établie pour les faces K et S, mais la relation (4) est très rarement vérifiée par les faces F. Généralement, ces faces croissent toujours de plusieurs ordres de grandeur plus vite que ne le prévoit la théorie. C’est pour concilier l’expérience avec la théorie que I. M. Frank (1949) a supposé que les défauts cristallins doivent être déterminants dans la cinétique de croissance des faces F. Sa théorie montre qu’on a toujours RF 廉 RS,K, ce qui n’infirme pas ce qui a été dit précédemment, mais de plus elle donne un bon ordre de grandeur des vitesses de croissance RF pour les valeurs usuelles de dépassement des conditions d’équilibre.En ayant montré d’abord que la rugosité thermique des faces F ne peut en aucun cas favoriser la germination bidimensionnelle, Frank fait l’hypothèse hardie que les dislocations, existant dans le volume de la plupart des cristaux, doivent au contraire la supprimer totalement. Ces dislocations catalysent en somme la croissance des faces F. La figure 9 b montre la situation créée sur une face F par la traversée d’une ligne (AA ) de dislocation-vis de vecteur de Burgers . Les atomes adsorbés sur la face ont ainsi à leur disposition une arête exposée avec laquelle ils ont des énergies d’interaction 﨎(r ) fortes. Ces atomes se fixeront donc de préférence le long de ce gradin qui, de ce fait, progressera latéralement dans le plan de la face.Puisque, d’une part, la ligne de dislocation AA est fixée dans le volume du cristal et que, d’autre part, les plans réticulaires de la face sont maintenant des plans hélicoïdaux du fait que le cristal est disloqué, l’arête exposée tournera autour de AA , tout en réapparaissant à un niveau supérieur lors d’un tour complet. Frank a montré que l’arête exposée ne reste pas en fait rectiligne mais qu’elle s’incurve (fig. 9 c) pour donner en régime stationnaire, après un certain nombre de tours, une arête en forme de spirale (spirale de croissance, fig. 9 d).À partir de 1951, cette théorie a reçu de satisfaisantes confirmations expérimentales. Sur de très nombreuses espèces cristallines, de telles spirales de croissance ont été effectivement observées. Souvent, ces spirales sont visibles à l’aide d’un microscope à faible grossissement. Dans la majorité des cas cependant, des moyens plus puissants doivent être mis en œuvre. La figure 10 montre, sur une face (100) NaCl du type F, un ensemble de spirales de hauteur 2,8 Å et de 2 憐 2,8 Å (spirales carrées). Elles ont été mises en évidence par observation en microscopie électronique d’une réplique pratiquée sur une surface de NaCl préalablement «décorée» par de très petits cristaux d’or.Phénomènes extrinsèquesÀ ces mécanismes de croissance intrinsèques se superposent des phénomènes extrinsèques. C’est le cas pour la diffusion de la matière du milieu ambiant entourant le cristal en voie de croissance, pour le transport de chaleur occasionné par la chaleur de cristallisation. Lorsque ces deux phénomènes coexistent, ils peuvent interagir, et donner lieu à la convexion. Il faut ajouter aussi la diffusion superficielle sur les faces cristallines qui a lieu nécessairement dans la couche d’adsorption lors de l’avancement d’une arête exposée.Pour illustrer l’un des problèmes de transport, la figure 11 montre un cristal cubique de NaCl3 placé dans sa solution aqueuse sursaturée. Puisque le cristal croît, il appauvrit la solution en ions Na+ et Cl-3. Il se crée autour du cristal un halo de diffusion. Une méthode interférométrique a permis ici de visualiser les surfaces d’égale sursaturation au sein de la solution (lignes d’égales teintes).Tous les phénomènes de transport énumérés sont souvent difficiles à formuler; ils influent sur la cinétique de croissance du cristal. Dans les études fondamentales, il est souvent possible de les isoler et en particulier de séparer les mécanismes intrinsèques des mécanismes extrinsèques; mais, lors d’une cristallogenèse d’ordre technologique, ils coexistent généralement et créent des situations apparemment inextricables. Le technicien chargé de produire des cristaux cède alors souvent à la tentation de procéder empiriquement, ce qui n’est pas en général la meilleure méthode mais la plus rentable à court terme.3. Méthodes de préparation de monocristauxLes méthodes pour produire des monocristaux sont extrêmement variées, presque aussi variées que les espèces que l’on sait préparer actuellement. Cependant elles peuvent être classées en différentes catégories car elles sont liées aux propriétés des matériaux que l’on désire monocristalliser: solubilité, point de fusion, stabilité thermique, réactivité chimique, etc. Ainsi en découlent les méthodes de croissance en solution, en bain fondu, en phase vapeur, à l’état solide.Croissance en solutionL’expérience la plus aisée à réaliser consiste à dissoudre dans l’eau de la poudre d’alun jusqu’à saturation. Abandonnée à elle-même, cette solution s’évapore lentement et donne des monocristaux d’alun ayant la forme de cubocaèdres 100 111 pouvant atteindre facilement 5 cm de côté. La majorité des cristaux très solubles cristallisent aisément, en particulier les hydrates et solvates (cristaux contenant dans leur maille élémentaire des molécules de solvants; par exemple: aluns; NiSO4 . 7H2O; CuS4 . 5H2O; sel de Seignette). Il n’en est pas de même d’autres cristaux et en particulier des cristaux peu solubles (concentration inférieure à 10 g/l).Pour préparer des cristaux de qualité, il faut prendre les précautions suivantes: préparation d’une solution presque saturée dépourvue de poussières; mise en place dans la solution d’un cristal servant d’amorce; agitation douce et installation d’une faible sursaturation afin que l’amorce se nourrisse lentement et régulièrement. Si la sursaturation est trop élevée, on assiste à la formation de germes secondaires et, de ce fait, à une cristallisation anarchique sur l’amorce et au fond du récipient.Certaines espèces sont particulièrement sensibles à la germination secondaire. On adjoint alors souvent à la solution un inhibiteur de germination (par exemple 1 p. 1000 Pb2+ pour NaCl; 1 p. 1000 Fe3+ pour KH2P4).L’installation de la sursaturation peut être réalisée le plus simplement lorsque le solvant est volatil; l’évaporation du solvant peut être réglée en réduisant plus ou moins la surface libre. Cependant, il se forme alors souvent des croûtes à la surface de la solution. Cet inconvénient est évité lorsque, sur le solvant, on fait surnager une couche protectrice (dans le cas des solutions aqueuses, on répand de l’huile de paraffine) qui empêche l’évaporation. La sursaturation doit alors être installée en faisant varier, selon un programme déterminé, la température de la solution (abaissement de température puisque la solubilité décroît en général avec la température).À grande échelle sont fabriqués ainsi en solution aqueuse des cristaux de KH2P4 (KDP), de NH4H2P4 (ADP), et de NH4H2As4 (ADA), atteignant parfois 50 cm de long et 20 cm de diamètre. Ils sont recherchés pour leurs propriétés ferro-électriques. Bien que les halogénures alcalins (KCl, NaCl, KBr, etc.), soient essentiellement produits à partir du bain fondu, cette technique permet de les obtenir à un état de très grande pureté et de perfection cristalline, ce qui les rend très utiles pour les études des «centres colorés» et de la conductibilité électrique. La méthode est appliquée aussi aux cristaux organiques solubles dans des solvants tels que le benzène, l’aniline, etc.Cette méthode s’applique maintenant vers les hautes températures (jusqu’à 1 200 0C) et elle porte alors le nom de « méthode des flux ». Des cristaux recherchés pour leurs propriétés optiques, magnétiques ou électriques sont actuellement préparés de cette manière: cristaux de YIG (grenat de fer et d’yttrium), de YAG (grenat d’aluminium et d’yttrium), cristaux de tungstate de calcium, de titanate de baryum, etc. D’une manière générale, des cristaux dits réfractaires, comme Zr2, peuvent être dissous dans un flux à des températures aisément accessibles. Un flux approprié doit restituer lors du refroidissement ou lors de l’évaporation l’espèce monocristalline recherchée. Les flux usuels sont des mélanges de B23, borax, K2S4, Pb2, Pb2, BaCl2, etc.Lorsque le solvant eau est employé à température élevée (1 400 0C), on parle de croissance hydrothermale. L’opération doit alors avoir lieu dans un autoclave résistant à l’eau qui se trouve à l’état supercritique. De nombreuses espèces cristallines sont ainsi préparées; la plus grande application est celle qui se rapporte à la production de cristaux de quartz recherchés soit pour leurs propriétés électriques, soit pour leurs propriétés optiques. L’autoclave contient une solution aqueuse alcaline et son fond est couvert d’une poudre de quartz. La partie supérieure porte une amorce monocristalline de quartz plus froide qui se nourrit à partir du quartz polycristallin (fig. 12). Les cristaux ainsi obtenus sont dépourvus de macles, défaut que possèdent tous les quartz d’origine naturelle.À l’opposé de ces méthodes, on peut situer la méthode dite des gels. Elle se pratique avec le solvant à la température ordinaire et elle donne des résultats excellents pour obtenir des cristaux d’espèces extrêmement peu solubles par le simple mélange de deux réactifs. L’exemple le plus connu est celui de l’oxalate de calcium. Dans un tube en U (fig. 13), on place un gel aqueux consistant (silice amorphe, gélatine, acrylate, etc.); de chaque côté sont versés respectivement de l’acide oxalique et du chlorure de calcium; les réactifs diffusent lentement à travers le gel et des cristaux, atteignant parfois 1 cm, se forment dans la gélatine au bout de quelques semaines. Bien que la méthode soit caractérisée par sa lenteur, elle possède l’avantage de la simplicité. Des monocristaux très variés sont ainsi produits: CuCl, or, sélénium, CaC3, etc.Croissance dans le bain fonduLorsqu’une espèce cristalline fond à une température peu élevée ( face=F0019 麗 1 800 0C) sans toutefois se décomposer, il est possible d’obtenir, à partir de son bain fondu, des cristaux de grosses dimensions. Il suffit de plonger à la surface du bain une amorce convenablement orientée. Si le bain se refroidit, l’amorce y pénètre et il en résulte une masse monocristalline. Ainsi furent préparés (méthode de Kyropoulos) les premiers gros monocristaux d’halogénures alcalins (30 憐 30 憐 30 cm) à usages optiques (ultraviolet, infrarouge). Au lieu de refroidir le bain, la méthode de Crochalski tend à refroidir l’amorce et à la tirer lentement hors du bain. Des monocristaux ayant une section de 3 憐 3 cm et de 200 cm de long sont produits actuellement pour le silicium, le germanium et l’arséniure de gallium dont un énorme usage est fait en électronique du solide. La figure 14 représente un creuset de graphite duquel est tiré un cristal de silicium vers 1 400 0C (bain fondu).Le mode de chauffage varie suivant le matériau à tirer en monocristal.Pour les halogénures alcalins, des fours à résistance suffisent; pour le silicium, est utilisé le chauffage par induction haute fréquence. Le bain fondu est alors contenu dans un creuset qui peut contaminer les cristaux produits. Cet inconvénient est évité dans la méthode dite de zone flottante dans laquelle une petite portion d’un barreau du matériau est fondue et déplacée le long de ce dernier. Le four est alors de petite dimension; il peut fonctionner soit par induction haute fréquence, soit par bombardement électronique.Ces méthodes procurent des cristaux de grande pureté, mais leur teneur en dislocations est en général très élevée. Une exception importante est constituée cependant par les cristaux de silicium et de germanium qui peuvent être obtenus à «zéro dislocation». À partir de l’amorce contenant généralement des dislocations, le monocristal est tiré d’abord très rapidement afin d’obtenir un cristal à section fortement rétrécie, opération qui a pour but d’éliminer les dislocations. Un tirage plus lent conduit ensuite à des sections larges dépourvues de dislocations. Ces monocristaux sont particulièrement recherchés pour la fabrication de circuits électroniques dits intégrés.La plus ancienne méthode de production de monocristaux à très haut point de fusion est la méthode de Verneuil. Elle est utilisée à très grande échelle pour produire tous les rubis servant en horlogerie et en mécanique de précision. Un chalumeau oxhydrique chauffe une embase réfractaire sur laquelle tombe, à débit régulier, la poudre d’alumine; il se forme un petit amas fondu; l’embase est déplacée vers le bas, le chalumeau pointant toujours sur le monticule fondu qui donne progressivement un monocristal. Une variante de la méthode de Verneuil utilise actuellement des chalumeaux à plasma.Croissance en phase gazeuseToute espèce cristalline présente une certaine tension de vapeur qui est d’autant plus grande que sa température est plus haute. On peut donc sublimer en laboratoire une poudre cristalline vers une région plus froide d’un tube et la transformer éventuellement en un monocristal. Ce procédé est cependant limité aux substances qui ne se décomposent pas; pour cela, la sublimation a lieu soit en atmosphère raréfiée, soit en atmosphère inerte (par exemple: substances organiques, chlorures métalliques, métaux, etc.).Lorsque la sublimation se situe à des températures trop élevées, un gaz dit de transport peut être incorporé au système. Ce dernier peut simplement avoir un effet «physique», en ce sens qu’il entraîne plus rapidement les vapeurs de la substance source vers la cible plus froide (par exemple, le silicium est entraîné par du sélénium gazeux). Le gaz de transport peut agir également d’une manière chimique, en formant avec le matériau source un composé volatil qui se décompose à nouveau sur la cible pour restituer la substance de départ mais sous une meilleure forme de cristallisation: l’oxyde Fe34 est par exemple transporté par le gaz HCl.La méthode de transport chimique en phase gazeuse présente plusieurs variantes, illustrées à l’aide de trois exemples:– Le gaz de transport contient lui-même l’élément à déposer: le gaz WCl6 se décompose à 1 600 0C sur un filament de tungstène en produisant des monocristaux de tungstène et un dégagement de chlore. SiI4 se décompose en silicium et iode (décomposition thermique).– Le gaz de transport est, par exemple, SiI4 qui passe sur du silicium polycristallin à haute température. Il se forme SiI2 qui à son tour se dismute sur la cible plus froide en SiI4 et Si (réaction dite de disproportion).– Le gaz SiI4, par exemple, peut être mélangé à un gaz réducteur comme l’hydrogène; la cible reçoit un dépôt de Si et donne un dégagement de HI (réaction de transport avec réduction). Cette dernière réaction peut être appliquée aussi à la préparation du tungstène selon la réaction:le dépôt se formant alors dès 1 000 0C.La croissance en phase vapeur n’est en fait pas utilisée pour produire de gros monocristaux massifs. En revanche, elle permet d’obtenir des cristaux de grande surface (3 憐 3 cm) mais de faible épaisseur (102 à 104Å) qui s’avèrent très importants dans certaines technologies où de faibles encombrements sont exigés (circuits électroniques intégrés, mémoires magnétiques pour ordinateurs, etc.).Les cibles utilisées sont toujours des cristaux préparés à partir d’autres méthodes (en général par le bain fondu), sur lesquels sont déposés, soit la même espèce cristalline légèrement dopée (auto-épitaxie), soit une autre espèce cristalline (épitaxie). Les cibles et les dépôts sont évidemment choisis selon leurs propriétés intrinsèques électroniques ou magnétiques, mais encore elles doivent avoir des similitudes cristallographiques assez grandes afin que le dépôt puisse réellement croître comme un monocristal bidimensionnel sur le cristal support (définition de l’épitaxie).Croissance à l’état solideLes métaux qui sortent des ateliers métallurgiques se présentent sous la forme de tôles ou de lingots dits polycristallins. Il est possible de transformer ces objets en monocristaux sans les faire passer par un état dispersé fondu ou gazeux.L’expérience peut être réalisée avec une tôle d’aluminium présentant des cristaux de quelques dixièmes de millimètre de diamètre. Si cette tôle est soumise à un étirement dépassant de très peu la limite élastique (écrouissage critique), un chauffage consécutif, aux deux tiers du point de fusion (recuit), transforme cette fine mosaïque de cristaux en une mosaïque de cristaux ayant des diamètres décuplés. Une deuxième opération similaire fait disparaître de plus en plus les joints de grains entre cristallites. Après plusieurs «recristallisations» successives, la tôle se trouve transformée pratiquement en un seul monocristal. Ce phénomène est d’autant plus aisé que le métal est plus pur, car, dans ce cas, les déplacements de dislocations et les mouvements des joints de grains qu’il implique sont d’autant moins empêchés.Cette méthode de croissance à l’état solide ne trouve que peu d’applications pratiques. Cependant, la méthode est utile lorsque l’espèce cristalline présente un changement de structure (transformation polymorphique) près du point de fusion. Elle présente aussi l’avantage suivant: lorsque le métal est intentionnellement dopé, la recristallisation conduit à une répartition plus homogène du dopant que ne pourrait fournir la méthode de croissance à partir du bain fondu. En fin de compte, la méthode de recristallisation est souvent utile pour améliorer la qualité cristalline des couches minces produites par croissance en phase vapeur. Un recuit de ces couches peut guérir la couche d’un certain nombre de défauts (joints de grains, joints de macle, défauts d’empilement).Croissance sous très haute pressionCertaines espèces cristallines ne peuvent se former qu’à des pressions élevées bien que, lorsqu’elles sont remises à la pression ambiante, elles restent apparemment stables pendant un temps infini (phases métastables). L’exemple célèbre est celui du carbone qui existe sous deux formes polymorphiques, le graphite et le diamant. Le diamant est la phase stable à haute pression (face=F0019 礪 15 憐108 Pa), bien qu’il puisse rester indéfiniment métastable à pression ordinaire, si la température ne dépasse pas 800 0C. Vu sa grande importance industrielle, il est apparu intéressant de produire des diamants synthétiques.La production des cristaux se fait à l’intérieur de presses atteignant des pressions de 1011 Pa. Afin que la réaction de transformation graphite-diamant soit suffisamment rapide, il est nécessaire d’amener l’espace laboratoire à des températures supérieures à 1 400 0C. Du point de vue pratique, ces deux conditions ne peuvent être réalisées que si le four de chauffage se trouve lui-même comprimé à l’intérieur du moule de la presse, le moule pouvant alors être refroidi, ce qui améliore sa tenue mécanique.La présence de nickel catalyse la transformation graphite-diamant. Les cristaux de diamant retirés de l’espace laboratoire sont de ce fait recouverts d’une pellicule de graphite et de nickel. Lavés dans un mélange d’acide sulfurique et nitrique, les diamants présentent un faciès, des propriétés optiques et mécaniques tout à fait similaires à ceux des cristaux naturels. Leurs dimensions atteignent cependant rarement le millimètre cube.Les synthèses à très haute pression sont amenées à jouer un rôle de plus en plus important pour la création de matériaux cristallins nouveaux ayant des propriétés encore inconnues, mais sortant de l’ordinaire.4. Incidences sur l’industrie chimiqueLa préparation de monocristaux n’est pas le seul domaine d’application de la croissance cristalline. Dans de nombreuses industries chimiques se pose le problème de savoir diriger la cristallisation afin d’amener la matière cristalline sous une forme convenable qui n’est pas forcément le monocristal. L’importance des problèmes réside alors dans le fait que des millions de tonnes de produits doivent être mis sous une forme polycristalline bien déterminée à l’avance.Dans l’industrie des engrais (phosphates, potasse, nitrates, sulfates) et du chlorure de sodium, la forme et la dimension des cristaux sortant des cristalliseurs sont importantes. Un des problèmes à éviter est celui de la prise en masse des cristaux lorsque ceux-ci sont stockés en vrac. Souvent, lorsque cette prise en masse se produit, il est nécessaire d’utiliser de puissants moyens mécaniques de manutention et de main-d’œuvre. Ainsi, des cristaux sous forme d’aiguilles s’enchevêtrent ou bien même certains cristaux isométriques se soudent entre eux du fait des variations climatiques. Il y a deux remèdes suivant les cas. On peut forcer les cristaux qui se forment normalement avec un faciès aciculaire à cristalliser sous une forme moins apte au mottage (cristaux tabulaires ou isométriques). Il suffit en général d’ajouter dans les cristalliseurs un inhibiteur de croissance qui, en s’adsorbant sélectivement sur certaines faces de l’espèce cristalline, provoque un changement de la morphologie (cf. infra ).Lorsque des cristaux isométriques se soudent ensemble, cela provient du fait qu’une inévitable pellicule de liquide adhérant sur les grains abandonne des germes. Le remède est à nouveau l’introduction d’une impureté faisant office d’inhibiteur de germination. L’exemple le plus connu est celui du chlorure de sodium qui prend très aisément en masse. Si l’on ajoute par tonne de sel 1 à 3 grammes environ d’ions ferrocyanure, les cristaux n’ont plus aucune tendance à l’agglomération.Les inhibiteurs de germination trouvent d’autres applications importantes. Ainsi, la prise du plâtre peut être ralentie d’une manière bien contrôlée par l’addition de traces d’acide citrique. Le travail de ce matériau se fait alors plus aisément, bien que sa tenue mécanique en souffre quelque peu. La formation du tartre dans les tuyauteries industrielles peut être ralentie ou arrêtée par les inhibiteurs de germination. Des eaux chargées en carbonate de calcium sont immunisées par des traces de polymétaphosphates. Les chaudières des usines de dessalement de l’eau de mer peuvent ainsi rester en fonctionnement continu sur des périodes bien plus longues.Dans l’industrie métallurgique se posent d’autres problèmes de croissance cristalline, car la tenue mécanique des alliages dépend non seulement de leur composition chimique mais surtout de la «texture» des phases cristallines qui y sont exprimées. Les textures des eutectiques peuvent être modifiées par des traitements thermiques et des additifs convenables. Le fluage des turbines de haute température peut être considérablement diminué.Ainsi, de nombreuses applications découlent de nos connaissances fondamentales sur les phénomènes de la croissance cristalline.
Encyclopédie Universelle. 2012.